- Doctrines politiques
- Doctrines politiquesL’opposition que l’on trouve entre l’augustinisme et la philosophie nouvelle dans la vision du monde se rencontre aussi dans les doctrines politiques. Sans doute le thomisme comme l’augustinisme, admet la hiérarchie platonicienne appliquée aux choses politiques ; ainsi, chez Gilles de Rome, qui fut, en 1269, précepteur du futur Philippe le Bel, on trouve, dans le De Ecclesiastica potestate, le schème connu de la hiérarchie des deux pouvoirs : il l’exprime avec les mots mêmes d’Hugues de Saint-Victor : « Le pouvoir spirituel a à instituer le pouvoir terrestre, et si le pouvoir terrestre ne se conduit pas bien, le pouvoir spirituel pourra être son juge » ; le premier a sur le second la précellence de l’âme sur le corps, et selon le mot de l’Aréopagite : « La loi divine consiste à ramener les choses d’en bas aux choses d’en haut par les intermédiaires » ; « il faut ramener le glaive temporel par le glaive spirituel, et il faut ordonner l’un sous l’autre, comme l’inférieur sous le supérieur » ; il en est comme dans le monde matériel où les corps inférieurs sont régis par les supérieurs, les plus grossiers par les plus subtils, les moins puissants par les plus puissants. Seulement cette hiérarchie est interprétée dans un tout nouvel esprit : le degré inférieur a comme sa nature propre qui le fixe au niveau où il est, il n’aspire point de lui-même au supérieur, et c’est pourquoi il doit être maintenu dans les cadres qui lui sont propres par le pouvoir supérieur, au besoin par la force et la violence ; pour l’unité ordonnée qu’il s’agit d’atteindre, il ne s’agit plus d’une soumission seulement spirituelle mais temporelle. C’est ce que l’on voit mieux en lisant son De regimine principum : il y a en effet un vif contraste entre le caractère absolu qu’il donne au pouvoir du roi dans ce domaine, pouvoir qui est « naturel » dès qu’il est subordonné à la raison, et la sujétion également absolue du pouvoir laïc au pape ; le parallèle est, à ce point de vue, rigoureux entre les choses naturelles et les choses politiques ; la société civile est fondée sur la nature humaine comme le monde sur la nature des essences ; mais, « de même que Dieu a un pouvoir (dominium) universel sur toutes les choses de la nature, selon lequel il peut faire que le feu ne brûle pas et que l’eau ne mouille pas, de même que, pourtant, il gouverne le monde selon la loi commune, et, s’il n’y a pas d’obstacle du côté spirituel, permet que les choses achèvent leur cours, sans empêcher le feu de brûler ni l’eau de mouiller ; de même le souverain pontife, vicaire de Dieu, a, à sa manière, un universel pouvoir (dominium) sur les choses temporelles, mais, voulant l’exercice selon la loi commune, s’il n’y a pas d’obstacle spirituel, il convient qu’il permette aux puissances terrestres, à qui sont confiées les choses temporelles, d’achever leur cours et d’exercer leur jugement. » Le pouvoir temporel n’est donc tout-puissant dans sa tâche que parce qu’il y est asservi, sans qu’il y ait en lui aucune ébauche ni lueur des choses spirituelles.Le De Regimine christiano de l’ermite augustinien, Jacques de Viterbe, qui écrit en 1302, présente le même caractère que l’œuvre de Gilles de Rome. Le De Regimine principum, commencé par saint Thomas et achevé vers 1301 par Ptolémée de Lucques, quoique beaucoup plus tempéré dans ses idées théocratiques, donne au pouvoir royal le même genre d’autonomie, qui n’existe que s’il n’y a pas en jeu des intérêts spirituels, sur lesquels le pouvoir civil est sans compétence.
Philosophie du Moyen Age. E. Bréhier. 1949.